25/12/2025
Joyeux Noël avec le Souffle du Givre

Un conte de Noël inspiré du folklore russe, de Ded Moroz et Snegourotchka.
Le Souffle du Givre
Au commencement, il n’y avait rien que le silence. Mais ce silence respirait, lentement, comme si le monde somnolait avant de s’éveiller.
L’air était blanc. Le ciel, figé. La terre dormait sous un manteau que rien ne troublait encore. Et dans cette immobilité régnait celui qu’on nommerait un jour Ded Moroz, le Père Gel.
Il n’était pas homme. Il n’avait ni âge ni forme précise. Il était le froid devenu conscience : la pensée née du premier flocon. Un esprit plus ancien que la parole des vents.
Quand il marcha pour la première fois sur la plaine gelée, la neige prit forme sous ses pas, et là où il se tenait, l’hiver trouva son nom.
Son palais n’était bâti d’aucune pierre : il surgissait dans les aurores, façonné par la lumière des étoiles. Les murs vibraient comme des veines de cristal, les plafonds gouttaient de reflets, et le silence y tintait comme un carillon.
Ded Moroz y vivait seul — gardien des saisons et protecteur du sommeil du monde. Ses yeux contenaient le bleu des distances glacées et son souffle faisait se taire les tempêtes.
Mais, au fil des âges, une lassitude s’insinua en lui. Il avait tout créé du repos et pourtant ne connaissait pas la paix : il lui manquait un regard pour répondre au sien, une autre voix dans le silence.
Une nuit où les vents cessèrent, il descendit sur la grande plaine et s’accroupit dans la neige.
Ses mains, froides et sûres, travaillèrent la poudre blanche jusqu’à ce qu’un visage y apparaisse. Un visage d’enfant calme, aux yeux d’étoile. Il souffla doucement sur le front modelé.
La neige frémit. Et des lèvres pâles s’ouvrirent.
Ainsi naquit Snegourotchka, la Fille des Neiges.
Sa peau luisait comme la lune sur les congères, sa chevelure coulait en ruisseaux givrés, et ses yeux — si purs qu’on en frissonnait — semblaient refléter le monde avant qu’il ne soit.
Ded Moroz la contempla longuement.
— Tu es ma voix, dit-il. Tu es la réponse du froid à la solitude.
Elle se leva, légère, et la neige se mit à chanter sous ses pieds.
Les années passèrent comme les soupirs d’un même hiver.
Snegourotchka apprit auprès de lui les mystères du gel : écouter les fissures de la glace qui parle, apprivoiser le vent qui mord, comprendre la patience du flocon.
Chaque rire qu’elle offrait faisait vibrer l’air d’une lumière bleue. Chaque mot, un peu de givre. Et Ded Moroz, en la regardant, sentait dans son cœur quelque chose qu’il n’avait pas prévu : un élan vers la chaleur.
Car la Fille des Neiges regardait déjà au-delà des brumes du Nord.
Chaque soir, à travers la blancheur infinie, elle apercevait les lueurs lointaines du monde des hommes — leurs feux, leurs danses, leurs noms criés sous les ciels tempétueux.
Il lui semblait entendre leurs chansons, d’une beauté si imparfaite, si vivante, qu’elle en avait le vertige.
Une nuit, elle demanda :
— Père, qu’y a-t-il là-bas, derrière les flammes ?
— La vie qui brûle, répondit Ded Moroz. Et la mort, parfois, qui s’y cache.
— Et pourquoi brûlent-ils ?
— Parce qu’ils ont peur du froid.
— Alors… pourquoi nous leur donnons la neige ?
— Parce qu’ils en ont besoin, pour apprendre à guérir de leur peur.
Mais cette réponse ne lui suffit pas. Elle voulait savoir, sentir, comprendre la chaleur dont il parlait.
Quand vint le grand hiver, celui que les hommes appellent Noël, Ded Moroz s’apprêtait à parcourir la terre pour bénir les villages endormis.
Snegourotchka le supplia de l’y emmener.
Il hésita, puis céda.
— Tu descendras jusqu’à la limite des feux, dit-il. Mais pas plus loin. Et tu reviendras avant la première aube.
Elle promit, sans savoir qu’en son cœur dormait déjà le parjure doux de l’amour.
La troïka de cristal fendit le ciel. Les chevaux bleus galopaient dans les vents figés, leurs sabots dessinant sur la neige des arcs d’argent.
En bas, les plaines humides s’illuminaient de lanternes rouges : le village de Velianitsa. On y riait, on y chantait, on y buvait autour du grand feu.
Snegourotchka resta un instant suspendue dans le ciel, hypnotisée.
Puis elle sauta hors du traîneau et posa le pied dans la neige humaine.
Les musiciens cessèrent de jouer. Les enfants s’arrêtèrent au milieu de leurs jeux.
La jeune femme ressemblait à un rêve devenu vrai. Son manteau étincelait de reflets d’aurore et sa voix, lorsqu’elle dit « Bonsoir », fit trembler même les flammes.
C’est là qu’Ivan la vit.
Jeune sculpteur aux mains rudes et au regard clair, il s’approcha d’elle avec la timidité de ceux qu’éblouit la beauté simple.
— D’où viens-tu ? demanda-t-il.
— De là où la neige ne s’arrête jamais de tomber.
— Et tu n’as pas peur de te perdre chez nous ?
— Non. Peut-être est-ce vous qui vous perdrez si je reste trop longtemps.
Elle sourit. Et son sourire fit fondre un flocon sur les lèvres d’Ivan.
Ils dansèrent ensemble. Leurs pas dessinaient des cercles dans la lumière orangée. Le feu se balançait doucement, comme s’il respirait avec eux.
Le village entier reprit vie ; le violon se mit à chanter plus fort.
Et pendant que la neige tombait sur leurs épaules, Snegourotchka sentit en elle quelque chose qui se brisait et s’éveillait tout à la fois — une chaleur timide, un cri muet dans la glace.
Ded Moroz, loin au nord, sentit ce trouble : ses neiges vibraient. La rivière s’agita sous sa carapace. Il sut que l’instant approchait.
— Ainsi, murmura-t-il, le froid apprend à aimer.
Sous la clarté des torches, la fête s’éteignit lentement.
Il ne resta qu’eux, assis devant le brasier. Les flammes changeaient de couleur, passant du rouge au blanc, puis au bleu, comme si elles voulaient lui ressembler.
— C’est cela, la chaleur ? demanda-t-elle.
— Oui. Elle brûle, mais elle fait vivre.
— Et moi ? vivrai-je si elle me touche ?
— Je ne sais pas, répondit Ivan. Mais si c’est mourir que de te brûler, alors moi aussi je veux brûler.
Il tendit la main. Elle la prit enfin, sans se défendre.
La chaleur traversa sa peau de glace. Son cœur, que même le temps n’avait jamais atteint, se mit à battre — vraiment battre.
Elle eut peur : non de mourir, mais de comprendre.
Elle s’inclina vers lui, et leurs lèvres se rencontrèrent.
Alors le monde devint silence.
Les flocons s’arrêtèrent. Le vent cessa. Toute la plaine fut traversée d’une lumière pure, d’un bleu presque argenté.
Le corps de Snegourotchka se changea en transparence ; son regard se vida de tout sauf d’amour.
— Ivan… ce que j’ai appris, je ne le perdrai plus, dit-elle. Ni le froid, ni le feu ne peuvent effacer cela.
Elle s’évapora dans un souffle.
Il ne resta qu’un cristal dans la neige — une larme de lumière, froide et chaude à la fois.
Ivan le prit. Et ce cristal, murmure-t-on, devint la première aurore.
Plus tard, Ded Moroz descendit dans son palais en ruine. Les murs de glace se teintaient d’un éclat inconnu : celui du feu apprivoisé.
Il marcha jusqu’à la salle des cristaux et, au centre, déposa le souvenir de sa fille — un fragment de son essence mêlée à celle de la chaleur terrestre.
Alors, dans la voûte du ciel, quelque chose s’ouvrit : une rivière de lumière. Les hommes l’appelèrent aurore boréale ; Ded Moroz, lui, sut que c’était le visage transfiguré de Snegourotchka.
Depuis cette nuit, il ne cessa d’arpenter le monde. Mais il n’était plus seulement le Seigneur du Froid : il était devenu le gardien de l’équilibre, celui qui veille pour que la glace protège sans étouffer, que le feu éclaire sans dévorer.

Et chaque hiver, quand les neiges reviennent, il regarde le ciel.
Quand l’aurore se lève, il croit y voir une jeune femme danser dans la lumière, ses bras ouverts comme pour embrasser la terre.
Alors il murmure :
Le froid n’est pas la fin de la vie. Il est sa mémoire.
Et la neige qui tombe n’est que le baiser du feu éteint.
Cette nuit-là, le vent recommence à chanter. Et dans chaque maison endormie, un enfant, sans raison, sourit dans son rêve.
C’est que Snegourotchka passe près des fenêtres, invisible et bienveillante, effleurant les vitres de sa main bleue, laissant une trace de givre en forme de cœur.
Le Père Gel, lui, continue sa route sous les étoiles, solitaire mais apaisé, portant dans son manteau la lumière qu’il a apprise d’elle.
Il marche lentement et disparaît à l’horizon, là où la neige rejoint le ciel.
Et, longtemps après qu’il est passé, le monde garde ce frisson calme — celui que tous connaissent sans pouvoir l’expliquer : le Souffle du Givre, ce moment suspendu entre la flamme et le silence, entre l’amour et l’éternité.
07:42 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) |
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